Appel à communicationColloque international Politiques de mémoire locales et nationales : dialogue, concurrence, complémentarité 16 et 17 novembre 2023 Mémorial de Caen Université de Caen Normandie
En 2022, de nombreux pays latino-américains peuvent affirmer connaître la plus longue période démocratique de leur histoire. Cela ne signifie pas que ces dernières années n’aient pas été agitées, compliquées, mais que, malgré les menaces, les régimes démocratiques mis en place depuis les années 1980 ou 1990 ont su se maintenir. Le premier président après la fin de la dernière dictature argentine, Raúl Alfonsín disait qu’« avec la démocratie : on mange, on éduque et on soigne », il a ensuite dû faire face à des nombreuses attaques des militaires qui menaçaient la pérennisation d’un régime démocratique. C’est aussi pendant son régime qu’ont été mis en place deux outils fondamentaux dans les politiques publiques de mémoire liées au passé dictatorial : la CONADEP et le « Juicio a las juntas » entre 1983 et 1985. Aujourd’hui, l’Argentine se prépare à célébrer 40 ans de démocratie, alors que sa vice-présidente, Cristina Fernández de Kirchner, a été récemment victime d’une tentative d’assassinat. Chez son voisin, les Brésiliens viennent de porter à nouveau au pouvoir Luis Ignacio « Lula » Da Silva après le mandat de Jair Bolsonaro qui défendait clairement l’héritage dictatorial. Dans le cas des deux hommes, leurs rapports au passé dictatorial a souvent été une grille de lecture pour analyser leur positionnement idéologique. Le Chili a élu en décembre 2021 son plus jeune président, Gabriel Boric, figure de l’émergence d’une nouvelle classe politique qui s’inscrit, à gauche, dans la lignée des actions du président Salvador Allende, démis par le coup d’État d’Augusto Pinochet en 1973. Pour finir, on peut évoquer l’élection de Gustavo Petro en Colombie en juin dernier : premier président « de gauche » du pays, ancien membre d’une organisation qui a déposé les armes au début des années 1990 et qui souhaite œuvrer clairement pour le fonctionnement effectif du processus de paix de 2016. En Amérique centrale, les actions en justice liées à des crimes des passés autoritaires et dictatoriaux se sont multipliées depuis plusieurs années et le Mexique voit les constructions mémorielles et politiques autour de l’année 1968 évoluer. Le passé récent en Amérique latine est souvent utilisé comme référent pour soutenir ou discréditer des candidats aux élections nationales : quel rôle a joué telle personne pendant le régime dictatorial ou autoritaire ? qu’est-ce qu’une autre a fait ou non pendant la répression ? dans quelle mesure a-t-elle bénéficié ou non du régime ? quels sont les liens qu’elle entretient avec des cercles de pouvoir de l’époque, quels étaient ses liens avec les organisations armées ? etc. La tentative d’assassinat sur Cristina Fernández de Kirchner, a été associée à la circulation de discours de haine héritiers du passé violent du pays, laissant entendre qu’ils n’ont jamais vraiment disparus. Ainsi, pour certains observateurs, le « Nunca más » (Plus jamais ça) n’a pas eu l’effet escompté. Comme le montre Sarah Gensburger et Sandrine Lefranc dans leur ouvrage À quoi servent les politiques de mémoire ? , il est difficile de mesurer leurs impacts et ces « politiques de mémoire sont trop souvent des politiques de l’impuissance »[1]. Si l’on s’en tient à l’injonction morale de la non répétition des faits, il est difficile de donner tort aux autrices, cependant, selon elles, l’impact de ces politiques peut se mesurer autrement. Les politiques de mémoire sont aujourd’hui des politiques « comme les autres » et c’est finalement lorsqu’elles en arrivent à ce stade qu’elles sont plus fortes. Cette affirmation, qui peut paraître à contre-courant, notamment pour les acteurs qui veulent mettre en avant l’exceptionnalité des faits liés à ces politiques, est d’autant plus intéressante si on l’applique au cas des pays latino-américains. Ainsi, qu’en est-il pour les pays qui ont géré Passé et Présent en même temps au sortir d’une dictature, d’un régime autoritaire ou d’une guerre civile ? En effet, les politiques de mémoire du passé récent ont constitué des politiques à part entière, au même titre qu’une politique économique et sociale. On peut aller plus loin en citant Sandra Raggio et Roberto Cipriano García qui, dans le cas de la Commission provinciale pour la mémoire de la province de Buenos Aires, soulignent les difficultés liées à la mise en place d’une politique d’État qui finalement remet en question « l’État lui-même »[2]. Luciana Messina et Florencia Larralde Armas estiment que ces politiques sont avant tout le fruit de « l’engagement de la subjectivité des artisans »[3]. Il faut alors s’interroger sur les motivations qui conditionnent les subjectivités, notamment lorsque l’on parle des experts ou des hommes et femmes politiques qui ne sont pas ou n’ont été pas des victimes et/ou des militants. Ainsi, les pays latino-américains ont régulièrement été pionniers dans la mise en place de politiques de mémoire. Depuis une vingtaine d’années, parallèlement à l’explosion de travaux sur l’histoire du temps présent et l’histoire immédiate dans la recherche scientifique mondiale, les chercheurs et chercheuses latino-américains travaillent sur les mesures, les mécanismes, les tentatives et hésitations liés à ces politiques. Ces travaux portent beaucoup sur l’échelle nationale, mais les recherches sur les expériences locales prennent progressivement une certaine ampleur. Souvent, dans le cadre de mémoires spécifiques : rurale, indigène, afrodescendante, militante, féminine, etc. Ainsi, on constate qu’elles ont parfois précédé dans le temps les actions nationales et qu’elles semblent aussi faire partie des débats politiques locaux au-delà de la gestion des passés douloureux. Peut-on dire alors qu’en Amérique latine, les politiques de la mémoire ont finalement toujours été des politiques « comme les autres » ? Est-ce que leur exceptionnalité est une question d’échelle ou de perception en fonction des acteurs ? Quels ont été les liens/dialogues entre politiques nationales et locales ? Qui sont les acteurs impliqués dans ces démarches ? À cela, on peut ajouter le paradigme de la lutte pour la défense des droits de l’homme qui marient luttes passées et présentes très clairement. En quoi cela conditionne, explique, les politiques de mémoire qui sont mises en place et celles qui sont laissées de côté, reportées, oubliées ? Ce colloque a pour objectif de tenter de relever, comprendre et d’analyser les interactions, sous toute leur forme, qu’il y aurait entre politiques de mémoire nationales et politiques de mémoire locales. Dans ce sens, nous nous intéressons aux initiatives qui se déroulent dans un cadre légal sanctionné par une ou des autorités nationales ou locales (la question du rayonnement du « local » pourra bien entendu faire l’objet de discussions). Cela n’exclut pas les initiatives ou actions qui ne bénéficient pas du sceau étatique puisque nous nous intéresserons aussi aux initiatives qui n’obtiennent pas cet aval ou le refusent volontairement. Dans tous les cas, il s’agit de voir en quoi les liens entre politiques locales et nationales contribuent à la construction d’un récit collectif sur un passé violent, à la circulation de mémoire(s) et dans quelle mesure cela peut avoir un impact dans le jeu politique. Dans le cadre de ce colloque les passés violents étudiés se centreront sur le XXème et XXIème siècle dans tous les pays latino-américains. Les politiques de mémoire étudiées peuvent concerner, à titre d’exemples et sans prétendre à l’exhaustivité, les axes thématiques suivants : ® Législation autour du passé dictatorial ® Procédures judiciaires ® Aides et compensations aux victimes ® Création de monuments et traces matérielles dans le pays, voire à l’étranger ® Les liens institutionnels entre art et politique de mémoire ® Récupération de structures de détention et de torture ® Création de Musée ou Espace pour la Mémoire ® Places et rôles des mémoriaux ® Archives : création, mise en place ® Financement de programmes culturels ou à visée éducative ® Programmes scolaires ® Récits ou faits canoniques/emblématiques au niveau local ou national ® Financements de ces initiatives, pérennité de ces financements ® Rôle des instances et acteurs internationaux ® Rôle des experts dans l’institutionnalisation ® Problèmes et avantages liés à l’institutionnalisation ® Commissions ® Actions au sein des Forces armées et Forces de sécurité
Les propositions de communication sont à déposer pour le 20 juin 2023 sur https://polmemoire.sciencesconf.org/ ou à envoyer à polmemoire@sciencesconf.org ® Un court CV avec une liste des publications et communications récentes ® Un titre et un résumé de 500 mots maximum Le colloque se déroulera uniquement en présentiel Bibliographie indicative
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El clero contestatario frente a la dictadura, Buenos Aires, Siglo XXI, 2016 CRENZEL, Emilio, La historia política del Nunca Más, Buenos Aires, Siglo XXI, 2008 COQUIO, Catherine, Le Mal de vérité ou l’utopie de la mémoire, Paris, Armand Colin, 2015 DEZALAY, Yves et GARTH, Bryant G., La Mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago boys », Paris, Seuil [traduit de l’anglais], 2022 FASSIN, Didier et RECHTMAN, Richard, L’Empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007 FELD, Claudia et FRANCO, Marina (dir), ESMA. 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Reflexiones en torno a la relación pasado presente en una experiencia temprana de institucionalización de las políticas de la memoria”, Clepsidra, volumen 6, número 12, octubre de 2019, pp.108-127. [3] LARRALDE ARMAS, Florencia et MESSINA, Luciana (coord.), Políticas públicas de memoria: el Estado frente al pasado represivo, dossier, introducción, Clepsidra, Volumen 6, número 12, octubre de 2019, p.8-15.
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